đź”’ Microalgues : la lĂ©gislation europĂ©enne comme frein ?Â
Elles sont plus diversifiĂ©es que l’ensemble du règne vĂ©gĂ©tal, reprĂ©sentent une alternative naturelle et durable aux vĂ©gĂ©taux et Ă certains produits animaux, et pourtant seule une poignĂ©e d’entre-elles est exploitĂ©e. La lĂ©gislation europĂ©enne freine-t-elle l’expansion industrielle des microalgues ?Â
Riches de plus de 100 000 espèces, les microalgues et les cyanobactéries représentent une ressource renouvelable inespérée d’innovation et pour une multitude de domaines allant de la nutrition humaine à la bioénergie en passant par la cosmétique. L’espace Atlantique européen possède, en particulier, de nombreux atouts dans ce secteur : des centres de recherche de haut niveau, des plateformes technologiques contrôlées et standardisées, des réseaux de recherche internationaux et des entreprises de biotechnologies innovantes et compétitives. Et pourtant, le marché européen des microalgues est à la traine, comparé aux marchés internationaux et notamment Outre-Atlantique.
- Un choix restreint de microalgues
En Europe, les microalgues peuvent ĂŞtre utilisĂ©es en alimentaire sous deux conditions : (1) si elles ont Ă©tĂ© mises sur le marchĂ© en tant qu’aliments ou ingrĂ©dients alimentaires et consommĂ©es de façon significative avant le 15 mai 1997 ; (2) si elles ont Ă©tĂ© approuvĂ©es en tant que Novel Food (règlement UE 2015/2283).
Cinq microalgues consommĂ©es avant le 15 mai 1997 ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme « non nouvelles » dans le catalogue de l’Union EuropĂ©enne : Aphanizomenon flos-aquae du lac Klamath, Arthrospira platensis (spiruline), Chlorella luteoviridis, Chlorella pyrenoidosa, Chlorella vulgaris.
Cinq microalgues et ingrĂ©dients issus de microalgues ont Ă©tĂ© approuvĂ©s en tant que Novel Food : les microalgues Odontella aurita (2009) et Tetraselmis chuii (2014) en biomasse entière dans les denrĂ©es alimentaires avec des teneurs maximales dĂ©finies, les huiles extraites de Ulkenia sp. (2009) et de Schizochytrium sp. (2015) et l’olĂ©orĂ©sine riche en astaxanthine extraite d’Haematococcus pluvialis (2014).
Des procédures Novel Food sont aussi en cours d’examen pour une huile de Phaeodactylum tricornutum riche en EPA (Simris Alg) et un extrait de Phaeodactylum tricornutum standardisé en fucoxanthine (Microphyt), qui a obtenu le statut « New Dietary Ingredients » (NDI) de la Food and Drug Administration (équivalent américain du Novel Food européen).
- Une législation complexe et coûteuse
« Le règlement Novel Food part d’un principe vertueux qui est d’assurer un niveau Ă©levĂ© de protection des consommateurs. Cependant, il restreint tellement les libertĂ©s des industriels europĂ©ens qu’il contraint l’innovation », explique Jean-Paul Cadoret, Chief Scientific Officer chez Algama et prĂ©sident de l’European Algae Biomass Asssociation (EABA). En cause, des procĂ©dures d’autorisation complexes et qui s’étalent en moyenne sur trois Ă cinq ans. Le dossier de demande doit fournir toutes les donnĂ©es scientifiques disponibles (exclusives, confidentielles et publiĂ©es) y compris les donnĂ©es favorables et dĂ©favorables qui seraient pertinentes pour Ă©valuer l’innocuitĂ© du Novel Food produit par ou avec une souche de microalgues. « Pour libĂ©rer les innovations, l’EABA avait demandĂ© Ă la Commission europĂ©enne un financement pour rĂ©aliser les Ă©tudes nĂ©cessaires aux demandes d’autorisation Novel Food d’une vingtaine de microalgues », explique Jean-Paul Cadoret. Demande restĂ©e sans rĂ©ponse.
Autre frein, le coût. « Les dossiers de demande d’autorisation Novel Food représentent des enveloppes budgétaires énormes pour les industriels, quelle que soit leur taille », indique Jean-Michel Pommet, expert dans le domaine des microalgues (Blue Eat). Un investissement estimé entre 200 000 à 400 000 € par l’EABA, sans aucun espoir de revenu tant que le dossier n’a pas été approuvé. Car le dossier doit aussi comporter des analyses chimiques et microbiologiques, de stabilité de l’ingrédient dans les produits finis, l’estimation des consommations, des études de toxicité et d’allergénicité. Ces analyses très poussées sont coûteuses, nécessitent un délai moyen de deux ans et doivent être réalisées dans des laboratoires de toxicologie certifiés.
Cependant, l’EABA ne baisse pas les bras. Elle a constitué un groupe de travail pour lister les améliorations que ses adhérents souhaiteraient voir dans la réglementation européenne Novel Food.
- Des insuffisances législatives ?
« Ce qui bloque également c’est que les responsabilités sont mal partagées en Europe contrairement au fonctionnement américain », indique Jean-Paul Cadoret. Il s’explique : « Aux Etats-Unis, les industriels sont libres de mettre sur le marché américain leur ingrédient car ils sont considérés comme entièrement responsables de ce qui pourrait arriver et devront en assumer les conséquences. » Si l’ingrédient n’est pas un aliment courant, son innocuité ou statut GRAS (Generally Recognised As Safe) peut être confirmée par un groupe indépendant d’experts reconnus. Si ce groupe conclut que le produit est GRAS, le fabricant peut ou non consulter la FDA.
Pour Jean-Michel Pommet, la FDA est aussi beaucoup mieux rodée que les instances européennes. De fait lorsque les données sont disponibles et que les études d’innocuité sont publiées, la FDA peut valider le statut GRAS en un an. « L’AESA souffre probablement d’un manque de ressources », glisse-t-il… Mais pas seulement. Plusieurs experts européens du domaine soupçonnent chez le personnel législatif des lacunes en termes d’expertise scientifique dans le domaine des microalgues (Cf. Enquête du CNRS et de l’Ifremer publiée dans Mar. Drugs 2021, 19, 319). « L’exemple de l’interdiction récente des cyanobactéries dans les biostimulants utilisés en agriculture est une aberration législative », confie Jean-Michel Pommet.
- Des innovations empêchées
Résultat, la plupart des acteurs du domaine abandonnent l’idée de déposer un dossier « Novel Food » et se contentent d’exploiter les rares espèces de microalgues autorisées (Cf. Encadré). Un choix, fait, entre autres, par Greensea, premier producteur européen de microalgues et par Algama, qui ne s’interdit pas pour autant de rester attentif aux microalgues non encore autorisées et qui pourraient avoir un intérêt. Plusieurs industriels s’engagent aussi en parallèle dans une procédure d’obtention du statut GRAS ou NDI auprès de la FDA, comme l’a fait Fermentalg pour son colorant alimentaire Blue Origins® (Cf. Encadré). « Bien souvent, les grandes marques internationales considèrent le statut GRAS comme suffisant pour pouvoir intégrer l’ingrédient dans leurs produits destinés au marché international », constate Thibaut Michel, Development and Production Manager chez Greensea. D’autres contournent la Commission Européenne en déposant directement leur demande d’autorisation Novel Food auprès de pays européens.
Et pourtant d’autres espèces de microalgues dont certaines produites en Europe mais vendues ailleurs ainsi que leurs constituants bioactifs pourraient être autorisés dans l’Union Européenne dans l’intérêt des consommateurs européens (Cf. Encadré).
- Une concurrence déloyale favorisée
Les lois relatives aux pays Ă©trangers limitent aussi le dĂ©veloppement du marchĂ©. L’exemple le plus flagrant est le manque d’uniformitĂ© dans la mise en Ĺ“uvre de la lĂ©gislation entre les pays de l’Union EuropĂ©enne et la commercialisation de complĂ©ments alimentaires associĂ©s aux microalgues provenant de pays non-membres de l’UE (par exemple, la Chine, les États-Unis).
Greensea, dont 50 % de l’activité est portée par le marché des actifs cosmétiques, se heurte parfois à l’interdiction de vendre des espèces et leurs produits dérivés sur le marché cosmétique chinois dès lors que ces produits ne sont pas sur la « liste chinoise » (Chlorella emersonii, Chlorella minutissima, Chlorella vulgaris, Dunaliella salina, Euglena gracilis, Haslea ostrearia, Hematococcus pluvialis, Phaeodactylum tricornutum, Porphyridium cruentum, Pseudanabaena, etc. cruentum, Pseudanabaena galeata, Skeletonema costatum, Spirulina maxima, Spirulina platensis et Tetraselmis suecica. et Tetraselmis suecica).
Autre frein, celui relatif au statut biologique. La lĂ©gislation sur les produits biologiques n’est pas claire car la certification biologique ne fournit pas d’informations sur l’origine du pays producteur de la biomasse algale. « Dans certains pays hors Union EuropĂ©enne ou la lĂ©gislation est moins stricte, les microalgues en photobiorĂ©acteurs sont labellisĂ©s bio alors que ceci est interdit dans l’Union EuropĂ©enne », regrette Thibaut Michel, quand Greensea fait l’effort de rĂ©pondre aux exigences du cahiers de charges bio en cultivant ses chlorelles en hĂ©tĂ©rotrophie et avec de l’azote et du carbone organiques.
Une solution proposĂ©e par les experts serait la crĂ©ation d’une certification de produit incluant une empreinte Ă©cologique. L’Europe pourrait aussi dĂ©finir un cadre et un modèle pour l’importation, la traçabilitĂ© et le contrĂ´le de qualitĂ© des souches de microalgues. « La crĂ©ation d’une norme de qualitĂ© par le comitĂ© europĂ©en de standardisation aiderait Ă contrĂ´ler la qualitĂ© taxonomique, microbiologique, toxicologique et biochimique des souches et de la biomasse ainsi que leur traçabilité », confirme l’EABA. L’objectif n’est pas seulement de parvenir Ă une diffĂ©renciation entre les producteurs d’algues de l’UE et les importations d’autres pays pour ce qui a trait Ă la sĂ©curitĂ© alimentaire, mais aussi de crĂ©er un outil dans l’UE pour diffĂ©rencier une biomasse algale produite exclusivement en Europe d’une biomasse algale produite ou importĂ©e par une partie prenante europĂ©enne dans un pays extĂ©rieur Ă l’UE Ă faible coĂ»t de production.