đź”’Fermentation & ingrĂ©dients fermentĂ©s, que peut-on en attendre ?Â
Comment cette mĂ©thode ancestrale de conservation des produits alimentaires qu’est la fermentation, peut-elle promettre une vĂ©ritable rĂ©volution alimentaire au service de la santĂ© de l’homme et de la planète ? Exploration de quelques pistes avec des acteurs engagĂ©s dans cette expertise.Â
En 2020, le Forum Economique Mondial dĂ©signait la fermentation comme un domaine d’innovation mondiale clĂ©, offrant l’opportunitĂ© de changer fondamentalement la façon dont le monde mange et d’amĂ©liorer la santĂ© humaine et environnementale mondiale ainsi que l’Ă©conomie. De fait, le marchĂ© de la fermentation est en pleine croissance. Selon une Ă©tude de BIS Research, le marchĂ© des produits et ingrĂ©dients fermentĂ©s devrait passer de 636,89 milliards $ en 2016 Ă 888,76 milliards $ en 2023, soit une progression annuelle moyenne de 4,98 %.
Dans l’hexagone, la fermentation est intégrée aux grands défis du plan « France 2030 » qui dote sa plateforme « Ferments du futur » d’un financement de 48 millions d’euros. Objectif : favoriser la recherche et l’innovation collective entre les scientifiques de l’INRAE et les entreprises françaises autour de la fermentation pour faire de la France un leader dans le domaine. Et apporter des réponses à la question fondamentale : que peut-on attendre de la fermentation et des ingrédients fermentés ?
Des ingrédients à la fonctionnalité augmentée
La fermentation joue un rôle crucial sur la qualité nutritionnelle des aliments en produisant des vitamines et autres composés bioactifs d’intérêt, en les convertissant en leur forme bioactive, en libérant des nutriments emprisonnés dans la matrice alimentaire, en améliorant leur digestibilité et en réduisant les teneurs en facteurs antinutritionnels (Cf. Dossier scientifique Nutrimarketing juillet 2020).
Un procédé récemment choisi par Esenco qui lance son premier ingrédient de ce type, une poudre de carotte fermentée. Avec cet ingrédient développé avec l’aide technologique des laboratoires Standa, Esenco propose, d’une part une alternative naturelle et sans cyanure à la vitamine B12 synthétique, et d’autre part, une teneur garantie en vitamine B12 supérieure à 10 µg/g. C’est aussi la première vitamine B12 certifiée biologique produite en France. L’utilisation de 40 mg de cette poudre permet, en outre, une allégation « source de ». 
Fermedics, sociĂ©tĂ© belge, utilise Ă©galement la fermentation sur ses extraits vĂ©gĂ©taux et ses champignons. Son processus en quatre Ă©tapes convertit les flavonoĂŻdes naturels des extraits vĂ©gĂ©taux en molĂ©cules antioxydantes actives plus petites (de type SOD) qui sont plus facilement absorbĂ©es par l’organisme, tout en Ă©tant très rĂ©sistantes Ă l’acide gastrique, aux sels biliaires et aux enzymes du tube digestif. Elle augmente aussi la capacitĂ© d’absorption des nutriments, des composĂ©s chimiques naturels (comme les saponines) et des mĂ©tabolites secondaires produits lors de ce processus. Fermedics propose ainsi une large gamme d’ingrĂ©dients fermentĂ©s associĂ©s Ă des effets antioxydants (Berriotics™, Fermagalus™, Fermbucha™, Fibriotics™), bĂ©nĂ©fiques sur l’hypercholestĂ©rolĂ©mie (Fermacolin™, Ankascine®568-P, etc.), l’hyperlipidĂ©mie, l’obĂ©sitĂ©, le syndrome mĂ©tabolique, la stĂ©atose hĂ©patique, l’athĂ©rosclĂ©rose (Fermokinase™), le stress (Fermanolide™, Fermagalus™, Fermogulan™) ou encore l’inflammation (Fermeric™, Fibriotics™).
La société allemande Cellavent amorce aussi le développement d’une gamme d’ingrédients fermentés. Son premier lancement Fermentlife® Turmeric est un curcuma issu d’un processus de fermentation avec trois souches certifiées de Lactobacillus. Il combine tous les avantages pour la santé de la racine de curcuma et va bien au-delà en offrant une biodisponibilité en curcuminoïdes bien plus élevée que celle des extraits végétaux. L’ingrédient y associe également d’autres composés bioactifs comme des postbiotiques et des paraprobiotiques, des huiles essentielles, des saponines et des peptides. Cet ingrédient combine des activités anti-inflammatoires, immunomodulatrices et antioxydantes.
Un Ă©tiquetage clean label
Des produits fabriquĂ©s avec des ingrĂ©dients simples, transformĂ©s de manière traditionnelle et dont on connait l’origine, sont parmi les grandes attentes des consommateurs. Renforcer la naturalitĂ© des aliments en limitant le recours aux additifs – conservateurs, stabilisateurs, arĂ´mes – est un des atouts de la fermentation.
Ennolys (Lesaffre) propose ainsi une gamme d’arômes naturels produits par fermentation et étiquetés « clean label » avec l’aval des réglementations européenne et américaine. Ces arômes permettent aussi de réduire les quantités de matières grasses ou de sucre dans les produits finis.
La start-up Michroma (Argentine) produit ses colorants à partir de souches de champignons filamenteux qui sécrètent naturellement une couleur dans le milieu de culture. Par ailleurs, ils ont l’avantage de n’avoir pas besoin de lumière pour se développer. Les colorants sont extraits du milieu de culture et les champignons sont utilisés pour leur biomasse riche en protéines. Son premier succès : un rouge naturel, stable à la chaleur, à la lumière et à pH neutre à basique, et avec un goût peu prononcé. Un jaune et un orange sont aussi produits sur la même plateforme que le rouge. Un bleu et un vert sont en cours de développement. L’atout de ces ingrédients : ils sont adaptés aux labels végan, végétarien, halal ou casher.
La fermentation permet aussi de rĂ©duire le nombre d’ingrĂ©dient sur l’étiquette. « Ce qui nous diffĂ©rencie vraiment, c’est l’Ă©tiquette », a rĂ©cemment dĂ©clarĂ© Amos Golan, fondateur et PDG de Chunk Foods (Israel), qui commercialise des substituts vĂ©gĂ©taux Ă la viande. De fait, la fermentation permet d’augmenter la durĂ©e de conservation des aliments et leur stabilitĂ©. Sur les Ă©tiquettes des produits Chunk Foods, pas de mĂ©thylcellulose, stabilisants et autres ingrĂ©dients dont les consommateurs se mĂ©fient. Enfin, c’est aussi le caractère Ă©cologique et durable de la fermentation qui est mis en avant lorsque la technologie permet de fabriquer des ingrĂ©dients sans avoir recours Ă l’agriculture traditionnelle.
Une amélioration du goût et de la texture des alternatives végétales
Les marques spĂ©cialisĂ©es dans les alternatives vĂ©gĂ©tales se tournent vers les techniques de fermentation pour modifier les propriĂ©tĂ©s organoleptiques de leurs produits et ainsi mieux correspondre au goĂ»t, Ă la texture et Ă l’odeur attendus par les consommateurs. Certaines souches utilisĂ©es en fermentation Ă©liminent l’hexanal, la molĂ©cule responsable de la saveur d’herbe et de haricot retrouvĂ©es dans les protĂ©ines vĂ©gĂ©tales. D’autres peuvent modifier la texture et la sensation en bouche grâce Ă la production d’exopolysaccharides ou Ă la dĂ©gradation hydrolytique des protĂ©ines. RĂ©cemment, des scientifiques danois de l’UniversitĂ© de Copenhague ont remportĂ© 7,5 millions d’euros pour un projet de recherche de six ans qui Ă©tudiera comment une combinaison de bactĂ©ries Bacillus et de diffĂ©rentes moisissures peut amĂ©liorer le goĂ»t et la texture des protĂ©ines de pois jaunes et d’avoine (projet ProFerment) pour en faire une vĂ©ritable alternative aux protĂ©ines animales.
Pour aider les producteurs à répondre aux exigences des consommateurs de produits d’origine végétale en matière de goût, de nutrition et de durabilité, Chr. Hansen a développé la gamme de cultures VEGA™ Boost (mai 2022), son complément au kit de cultures VEGA™ lancé en 2021 (14 cultures propriétaires, dont des probiotiques). Avec VEGA™ Boost Chr. Hansen a réussi à produire avec les ingrédients d’Ingredion, d’AAK et de Givaudan et par fermentation, un prototype d’alternative végétale au fromage à base de fèveroles fermentées. Le produit fini offre une complexité d’arômes similaire à celle du fromage à base de lait, de bonnes qualités nutritionnelles, une meilleure durabilité que son équivalent animal et une formulation clean label (cinq ingrédients), sans allergènes et déclinable en produits végétariens, végans, casher et halal.
DuPont Nutrition & Health (fusionné avec IFF) propose de surmonter les défis de goût et de texture des produits à base végétale avec une gamme de cultures Danisco® VEGE, contenant ses probiotiques HOWARU® Bifido VEGE et HOWARU® Dophilu. Cette gamme pourra être testée dans le centre de conception culinaire pour les aliments à base végétale qui vient d’être inauguré au Danemark.
Springer Mask 101 de Biospringer (Lesaffre), produit par fermentation, neutralise les notes indésirables des protéines végétales (astringence, métallique, de pois) et permet aussi de réduire les teneurs en sucre des produits finis.
Des ingrédients fermentés pour des produits laitiers sans animaux
Avec les préoccupations éthiques entourant les produits laitiers traditionnels, la motivation à explorer des alternatives sans animaux prendra probablement de l’ampleur dans les années à venir.
Pour l’instant, l’offre de protéines de lait sans animaux est dominée par Perfect Day (Etats-Unis), dont la protéine de lactosérum sans animaux fabriquée par fermentation de précision est intégrée déjà dans de nombreux produits aux Etats-Unis.
En Europe, une dizaine d’entreprises mettent au point des ingrédients de ce type. Avant de les commercialiser, elles devront demander une autorisation de mise sur le marché à l’AESA. L’entreprise néerlandaise Fooditive semble être la plus avancée sur sa caséine végane pour une commercialisation espérée en 2023. L’entreprise allemande Formo prévoit également de vendre des fromages fabriqués à partir de protéines laitières sans animaux en 2023.
En France, la start-up Bon Vivant et la biotech Abolis se sont associĂ©es pour dĂ©velopper des produits laitiers sans animaux rĂ©alisĂ©s Ă partir de protĂ©ines de lait issues de la fermentation et aux qualitĂ©s organoleptiques et nutritives identiques Ă celles des produits issus d’animaux. « Enrichir et diversifier la gamme des sources de protĂ©ines tout en limitant notre impact Ă©cologique est un enjeu majeur pour l’avenir de l’humanité », a dĂ©clarĂ© ValĂ©rie Brunel, directrice gĂ©nĂ©rale d’Abolis.
Les atouts de ces produits laitiers sans animaux – production durable et écologique, sans compromis sur le goût, la saveur et la texture – intéressent fortement les grands acteurs agroalimentaires comme Nestlé qui envisage de fabriquer un produit à partir des protéines sans animaux de Perfect Day pour le commercialiser aux Etats-Unis.
La fermentation microbienne pour produire de la biomasse protéique
La production de la biomasse est un autre débouché de la fermentation, qui offre déjà des alternatives à la viande et aux produits laitiers de nouvelle génération. Son principe est d’assurer la multiplication de cellules à croissance rapide (levures, bactéries, champignons, algues, etc.) dans des bioréacteurs et qui seront utilisées entières ou pour produire de grandes quantités de protéines à intégrer dans les produits finaux. La production de cette biomasse est en général très économe en ressources. Le champignon est très souvent privilégié en raison de sa texture fibreuse, son goût neutre et son contenu intéressant en acides aminés essentiels.
La start-up amĂ©ricaine Nature’s Fynd utilise la fermentation microbienne avec la souche Fusarium flavolapis pour produire l’ingrĂ©dient Fy Protein™ qui contient 50 % de protĂ©ines avec les vingt acides aminĂ©s (dont les neuf essentiels) ainsi que 30 % de fibres. Fy Protein™ est utilisĂ© dans des galettes de hamburger sans viande. Un fromage Ă la crème sans produit laitier vient d’être lancĂ©. Selon Nature’s Fynd, la culture de la souche Fusarium flavolapis Ă©met environ 94 % moins de gaz Ă effet de serre, utilise 99 % moins de terres et 99 % moins d’eau que le bĹ“uf, sans Ă©mission de mĂ©thane et avec un minimum de dĂ©chets. La biomasse est aussi fabriquĂ©e sans antibiotiques, hormones, insecticides, pesticides ou herbicides. Une source d’inspiration pour la toute rĂ©cente start-up française Fungu’it, fondĂ©e par Anas Erridaoui, qui mise Ă©galement sur la fermentation de champignon pour produire de la biomasse protĂ©ique et en valorisant des coproduits agricoles. Une levĂ©e de fond de 400 000 euros est en cours.
Le champignon est aussi mis à l’honneur par la société américaine Prime Roots, qui utilise le koji pour fabriquer une gamme complète d’alternatives véganes à la charcuterie (bacon, salami, saucisses, dinde fumée). La société a choisi le koji car il est naturellement fibreux, contrairement à la texture friable des protéines végétales. Sa fermentation libère certaines protéines et glucides, qui créent des notes de saveur umami. Deux atouts essentiels pour des substituts de viande.
Enough mise sur sa mycoprotéine Abunda et vient de multiplier ses capacités de production pour atteindre 10 000 tonnes par an (dans un premier temps) grâce à sa nouvelle usine installée aux Pays-Bas. Cargill situé à proximité fournira la matière première. Une mycoprotéine déjà utilisée dans les substituts de The Vegetarian Butcher racheté en 2021 par Unilever.
Arbiom, entreprise franco-américaine, mise sur une levure capable, grâce à une technologie innovante, de produire des protéines à partir de résidus de bois. Sur le plan réglementaire, la protéine SylPro n’est pas soumise à la réglementation Novel Food car il y a déjà eu dans le passé des utilisations dans l’alimentation humaine de la levure qui la compose. Le passage à une production industrielle est prévu pour 2024. Un partenariat avec l’entreprise américaine Barvecue permettra la mise au point de viandes végétales.
De même, La protéine Springer Proteissimo™ 101 de Biospringer (Lesaffre), issue de la fermentation de levures, ne nécessite pas de déposer un dossier Novel Food, cette levure étant utilisée dans les produits alimentaires depuis des millénaires.
A l’évidence, le processus de fermentation a de quoi ouvrir des perspectives d’applications à bien des acteurs.